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Nouvelles en libre accès

Pas  de  quartier !

 

Il y a des choses qui arrivent et qu’on ne comprend pas.

J’étais dans ma voiture et rentrai chez moi quand j’appris, par la radio, que notre belle planète bleue avait été envahie par des extraterrestres ! Sans qu’il y ait le moindre combat, la moindre résistance, dans l’ordre le plus total, sans que cela n’étonne personne.

Ma voiture fit une embardée à gauche et faillit percuter une camionnette qui tentait un dépassement. Moi, j’étais étonné, choqué même, et à la limite de l’asphyxie! Je n’en revenais pas : comment le journaliste pouvait-il rester aussi calme, presque joyeux, alors qu’il annonçait une nouvelle aussi catastrophique ?

Un mystère insoluble.

Mais le plus terrifiant était à venir. Lorsque le journaliste aborda les intentions de nos envahisseurs, j’en restai bouche-bée, au volant de ma voiture : d’un ton neutre et détaché, il venait d’annoncer que les extraterrestres s’étaient d’ores et déjà  mis en chasse des fans de Science-Fiction !

Je frôlai la crise cardiaque.

Eh oui... imaginez mon désarroi, moi, adorateur de Bradbury, Sturgeon, Asimov et compagnie, moi qui ne pouvais passer une journée entière sans lire un bon bouquin SF ou un dynamique fanzine du genre Dragon et Microchips, Luna Fatalis, ou SF-Mag. J’étais même plutôt clément en ce qui concernait Jimmy Guieu ou la série Perry Rhodan ! Imaginez la catastrophe !

 

En plus, seule une radio fonctionnait encore. J’avais beau tourner le bouton de mon vieil autoradio, mais niet. La voix laconique du même type, en boucle.

 

Je m’arrêtai sur une bande d’arrêt d’urgence. Il y avait urgence. J’avais besoin de prendre l’air. De vomir peut-être aussi ? La radio ne cessait pas son monstrueux débit: « Nos maîtres d’outre monde, pour nous avoir longuement observés dans les détails, connaissent tous les fans de SF existant, et SAVENT où les trouver. Nos maîtres les considèrent comme éthiquement dangereux, et conseillent de dénoncer ceux que vous fréquentez dans votre entourage, pour que la question soit réglée dans les plus brefs délais... Â»

 

« Mon Dieu Â», pensai-je  avec l’esprit vacillant qu’a une personne nouvellement traquée.

 

Je pris mon courage à deux mains et partis en trombe avec ma 2cv que je venais à peine de refaire à neuf... Mon but était simple : trouver une cabine téléphonique et appeler ma mère. Elle me confirmerait tout ça ou me prouverait qu’il ne s’agissait que d’une mauvaise blague. A qui d’autre pouvais-je me confier, sinon ma mère ? La seule qui, au cas où les faits seraient avérés, j’en étais certain, n’oserait jamais me dénoncer.

A Dolo, commune coincée à mi-chemin entre Rennes et Saint-Brieuc, je trouvai une cabine et composai le numéro de ma mère.

Une voix endormie à l’autre bout de la ligne (il était huit heure du matin) :

« Allooô?! Â»

« M’man c’est XXXXXXX. Â»

Du coup, la voix de ma mère qui s’enflamme :

« Ne téléphone pas ici ! Les Extraterrestres nous ont mis sur table d’écoute. Ils sont venus hier soir et ils te cherchent, cache-toi! Â»

Clic.

Ma mère avait raccroché. Et je n’avais pas pu en placer une.  Mais au moins, maintenant, je savais plus ou moins à quoi m’en tenir. Et le résultat, c’était une angoisse, une peur plus ancrée encore. L’ombre d’une mort prochaine planait au-dessus de ma tête comme une épée de Damoclès, et j’étais si terrifié que j’avais sombré dans une sorte de catatonie.

Ce fut à ce moment que je me mis à hurler : l’horreur venait de me crever les yeux. Sur les portières de ma 2CV je vis gravé l’inscription suivante, en gros caractères : « Vive la SF, vive Gilles Thomas, vive Roland Wagner ! Â».

J’avais totalement oublié cet insignifiant détail!

Tout à l’heure, ce n’était pas MOI qui avais failli percuter LA camionnette, c’était LA camionnette qui avait tenté de ME percuter, petite nuance! Oui, oui, j’en étais sûr à présent ; c’était, en plus, tellement logique maintenant que j’y pensais ! Quel con je faisais, bordel de nouille !

A petit détail, grosses conséquences, dit le vieil adage. Quelle mouche m’avait piqué pour que j’aie l’idée aussi saugrenue qu’inutile, de faire graver une chose pareille sur les portières de mon carrosse...

Bon... il y avait sûrement un moyen de s’en tirer... il fallait réfléchir !

 

Je retirai de la carrosserie l’autocollant SF. Une bonne chose. Je regardais constamment la route et le ciel. Rien. Mais il ne fallait pas s’y fier : eau qui dort appelle torrent. Et je m’imaginais déjà happé par le faisceau tracteur d’un bolide hyper spatial à propulsion diatonique ( ? ), et je voyais aussi une gueule d’extraterrestre pleine d’antennes faciales, à la bouche emplie d’algues-dents, et à l’haleine faisandée…

 

Je secouai la tête. Il ne fallait pas s’emballer. Je me souvenais que, dans la série télé « V Â», la résistance s’installait dans l’ombre tout naturellement après l’invasion. Il fallait donc que je retrouve mes potes ès-SF, ainsi nous pourrions nous battre contre la nouvelle tyrannie régnant sur Terre. Zut, fallait que j’appelle Chris, Jéronimo, Gyles, Kri, Juanito ou Floburryfieldforever©. Chris était un spécialiste du Space Opera et de la Hard Science, il saurait sans doute trouver des solutions techniques pour niquer les vaisseaux-mère. Jéronimo était plutôt du genre philosophe et pourrait donc entamer des pourparlers, au cas où. Floburryfieldforever© serait incontestablement notre bras armé. Juanito, avec l’aide d’un autre ami, Lee O’nell, pourrait très facilement injecter le virus « Fantasy Â» dans les réseaux informatiques extraterrestres, et ça c’était la victoire à coup sûr… Quant aux autres, on leur trouverait bien une spécificité… Et moi, bien sûr, eh bien, je serais le chef, vu que je ne savais rien faire de spécial. Bref, la situation n’était peut-être pas si désespérée.

 

Il fallait juste que je fasse un saut jusque mon appart’ de cité-U, j’y avais laissé mon portable. Et c’était mon seul moyen de réunir toute cette fine équipe ! Yeah, ça allait dépoter. Pauvres extraterrestres, ils allaient s’en mordre les tentacules ventraux d’avoir essayé de me capturer. Ahah ! Je n’étais pas le premier lecteur de SF venu, ils allaient s’en rendre compte vito-presto.

 

Je suis remonté dans ma dodoche, et ai mis le cap sur Rennes. J’avais l’œil en alerte. Je sentais les gens, aux feux, aux stops, en voitures ou en mob’, me regarder d’un air suspect. Peut-être avait-on déjà répandu mon signalement ? Ah, les cons de Bételgeuse, ils auraient été foutrement fortiches ! Mais, bizarrement, j’arrivai sans encombre devant la résidence universitaire. Je garai ma deux pattes bien tranquillement, et sortis, mains dans les poches, avec mon opinel bien calé dans une de mes paumes. J’avais troué ma poche pour ne pas avoir à sortir la lame en cas de besoin rapide. Elle était donc déjà prête à l’emploi.

 

Je gravis lentement les marches, me retournant sans cesse. A l’intérieur du vieux bâtiment graniteux, je pris le vénérable ascenseur OTIS de 1967 révisé une fois l’an. Il crachota ses poumons jusqu’au cinquième étage, comme je le lui avais gentiment demandé. J’étais fébrile en marchant dans le couloir. Mes mains tremblaient, mon cÅ“ur battait à en rompre les artères. Et si les extraterrestres m’attendaient à l’appart ? Merde, j’avais pas trop pensé à ça. Je maudissais l’Homme Invisible, ou le jalousait plutôt. Quoique si j’avais été le Néo de Matrix, nul n’aurait pu s’opposer à moi, héhé. Mais je n’étais que moi, avec mon petit opinel dans la poche, et mes genoux flageolants. Triste révélation !

 

Quand je parvins devant la porte de mon appartement, mon cÅ“ur cessa soudain de battre. La porte était légèrement entrouverte !!! Bordel ! Il y avait quelqu’un chez moi, j’étais cuit !

 

D’un coup, je craquai, mes nerfs n’en pouvaient plus. Je bazardai mon opinel dans le couloir, enfonçai la porte du pied, et effectuai un rouler-bouler magistral dans le petit hall de mon appart’, plongé dans l’obscurité. J’étais prêt à démolir du Men In Black, à éviscérer des Grulls de la planète Mock, à m’essayer pour la première fois à un Karaté improvisé. Mais la lumière se fit.

Et soudain, une nuée de cotillons me submergea et j’entendis un beuglement sauvage :

- JOYEUX ANNIVERSAIRE !!!

Abasourdi, bouche bée, et à genoux sur le parquet, je vis tous mes amis déguisés comme dans une convention Star Trek, hilares, heureux de leur effet. Même ma mère était là et n’en pouvait plus.

  Je dus rougir un brin.

- Ah, très drôle, parvins-je à articuler.

J’entendis Gyles dire à Rik :

- Trop fort ton traficotage de sa radio… t’as vu sa tête, ça a marché du tonnerre !

 

Tout en me relevant, et en allant rejoindre mes « amis Â» je me promis qu’on ne m’y reprendrait plus. Ok, ce coup-là c’était trop la honte, mais j’aurais ma vengeance.

Comment avais-je pu oublier mon anniversaire d’ailleurs ? Et comment avais-je pu croire une histoire aussi idiote ?

 

Pfff, ce doit être cela, la Science-Fiction.

 

Kanux, 2003-10-08

 

Ps : évidemment, c’est du n’importe quoi cette histoire de radio trafiquée, c’est pas très crédible. Mais le fait que j’aie mon permis B et une 2CV, est-ce crédible ? Et toc.

 

(Nouvelle "private joke" parue dans le fanzine Est-ce-F?)

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